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300 Hommes voir ce film 1440p

  • 300 Hommes
  • France
  • -
  • 2014
  • Réalisation. Emmanuel Gras. Aline Dalbis
  • Scénario. Aline Dalbis, Emmanuel Gras
  • Image. Emmanuel Gras
  • Son. Aline Dalbis, Manuel Vidal, Cyrille Carillon
  • Montage. Sophie Reiter
  • Producteur(s). Nora Philippe
  • Production. Les Films de l'Air, In the Mood.
  • Distributeur. Sophie Dulac Distribution
  • Date de sortie. 25 mars 2015
  • Durée. 1h22min
  • voir la bande annonce

L'humanité, par Adrien Mitterrand

300 Hommes

Chaque soir, le centre d’hébergement et de réinsertion sociale Forbin accueille des «hommes majeurs isolés», c’est la formule officielle. Documentaire d’immersion dont on pourrait attendre qu’il décortique le fonctionnement d’une institution, 300 Hommes surprend par un regard centré sur les hommes eux-mêmes, et leurs combats introspectifs contre l’exclusion.

À hauteur d’hommes

La force du film repose sur une mise en scène alliant rigueur et souplesse. Rigueur dans la distance. cette fameuse distance du filmeur avec son sujet, si essentielle, est trouvée, et maintenue de bout en bout. La place choisie par Emmanuel Gras et Aline Dalbis (qui n’étaient que deux au cours du tournage, l’un à l’image l’autre au son) pourrait être celle d’un occupant des lieux, qui resterait en retrait pour observer les autres résidents. Ce parti pris extrêmement risqué, d’autant plus avec un tel sujet, se nourrit souvent à l’arrivée de fausses connivences avec les personnes filmées. Mais le regard n’est ni voyeur ni intrusif, il n’y a pas de triche dans 300 Hommes. il est évident que les réalisateurs ont trouvé leur place au milieu des résidents, et qu’ils l’ont tenue quelles que soient les difficultés. En témoins silencieux, ils se placent alors au sein d’un groupe en train de discuter, dans une chambre à observer un colocataire d’une nuit, ou dans la cour, où les hommes fument en silence.

La souplesse de la mise en scène se manifeste pour sa part dans l’usage fait des codes hérités du cinéma direct. Les réalisateurs n’hésitent pas à user de quelques libertés dans le montage sonore ou dans leurs raccords pour mieux retranscrire une émotion ou une pensée, quitte à négliger la restitution exacte du fonctionnement de l’institution. Le procédé ne sert pas une reconstruction fictionnelle des événements pour servir une narration, mais vise plutôt à privilégier un certain axe du regard. En effet, le film parvient à inverser la démarche attendue. nous regardons des hommes dans une institution et non une institution contenant des hommes. Et par institution, ne s’entend pas simplement une structure, mais un système de charité précaire et impuissant face à un délitement social qui se manifeste plus violemment encore ici qu’ailleurs.

En équilibre

Violence, alcoolisme, cynisme, mais aussi idéalisme, apparaissent comme autant de béquilles pour alimenter la nécessaire sensation d’exister et de se projeter, dans ce lieu qui sert de refuge mais constitue avant tout pour ses résidents la représentation même de l’impasse. Une phrase revient souvent. «c’est pas une vie». Dans un modèle sociétal unique qui repose sur un développement individuel quantifiable, promesse de satisfactions futures, comment se contenter d’une simple survie, ou même d’un maigre espoir qui peine à prendre racine sur des parcours de vie chaotiques. Une des grandes réussites du film est de complexifier le regard sur les stigmates de la marginalisation, trop souvent vus comme causes d’un échec social plus que comme une conséquence ou une tentative de résistance, même désespérée. Un homme peut ici raconter son alcoolisme, qu’il ne défend ni ne condamne, qu’il se contente uniquement de constater, déroulant un récit d’une lucidité saisissante remettant profondément en cause la notion communément acceptée de «comportement déviant».

La sensation de stagnation s’insinue peu à peu dans ces longs plans fixes qui isolent les hommes les uns des autres. De l’ouverture des portes au petit matin, les cadres cherchent les séparations matérialisées par des lignes du décor ou des jeux de lumière naturelle, que les résidents utilisent eux-mêmes pour se placer. Parfois, des plans plus larges envisagent le lien malgré tout, matérialisant les relations qui parviennent à se nouer. Quelques lueurs, via des traits d’humour ou de camaraderie, parviennent à percer, et leur rareté les rend précieuses. Mais les compositions finissent par se lézarder, traversées par de nouvelles fissures se traçant à l’occasion d’une dispute ou d’un simple silence. Car tout ici est affaire de séparations. de celles qui sont poreuses (entre les résidents et le personnel, qui sont pour certains d’anciens résidents eux-mêmes), et de celles qui se construisent. Les barrières de culture, d’âge, de préjugés, d’origine sociale et géographique, se dressent et se cultivent avant tout pour préserver des individualités au sein d’un groupe auquel on ne veut pas être associé.

Parmi eux, suivi par une caméra portée, marche Frère Didier, sillonnant les couloirs pour faire fonctionner le centre, affichant une certaine dureté, rappelant le règlement, excluant ceux qui ne peuvent plus être aidés du fait de leur comportement dangereux. Cette gestion, nécessairement pragmatique et institutionnalisée, apparaît alors comme une course, interrompue uniquement par les temps de prière dans la chapelle attenante au centre, qui vise à combattre l’immobilisme auxquels semblent condamnés ceux qui sont poussés en marge. Ne cédant ni à l’idéalisme ni au désespoir, évitant les masques qu’auraient forcément créés un discours sur la religion ou un commentaire politisé, 300 Hommes est un film éprouvant qui tient en équilibre, et parvient ainsi à maintenir un regard se situant véritablement à hauteur d’hommes. Et sur un tel sujet, ce n’est pas si courant.

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